Palestine (début juillet 2002)


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Témoignage et photos: © Dominique Hausser (15 juillet 2002)

Une semaine dans la plus grande prison au monde

Samedi matin aux aurores, c'est le grand départ. Nous sommes trois. Nous partons en mission pour évaluer la faisabilité d'un programme sanitaire. Quelques heures plus tard, nous voici à proximité de l'entrée.

Les premiers contrôles ont lieu avant même les grilles. Ceux qui nous accompagnent et dont la tête ne revient pas aux gardiens avancés, sont harponnés, doivent présenter leurs papiers et répondre à de nombreuses questions. Certains continuent, d'autres sont retenus. Combien de temps ? Pour quels motifs ?

Les gardiens chargés de la surveillance des portes sont suspicieux. Ils nous retiendront plus de deux heures, prétendant attendre une réponse de leurs supérieurs.

Enfin à l'intérieur. Le soleil brille, il fait chaud. Mais l'ambiance est lourde. Tout le monde semble tendu. On ne sait pas qui est détenu, qui est gardien. On sent immédiatement les différences de statut des prisonniers. Nous l'apprendrons par la suite, l'administration délivre des documents d'identité différents ; il y en a au moins 6 ou 7, qui donnent comme on peut s'y attendre des droits différents.

Nous arrivons au centre de l'établissement. Les gardiens sont peu visibles, mais leur présence est plus que perceptible. Lorsqu'on en voit, ils sont par groupes de 5 ou 10, armés jusqu'aux dents. Il y a aussi des caméras de surveillance dans tous les couloirs.

Nous rencontrons nos premiers interlocuteurs, qui nous décrivent la situation dans laquelle ils vivent. Dramatique ; depuis quelques semaines, pire encore. La circulation est limitée, les contrôles multiples. Les portes ne sont ouvertes que quelques heures ; personne ne sait à l'avance quand, ni combien de temps. De plus, tous les résidents du secteur est sont dans l'obligation de rester dans leurs cellules durant 18h, 42h ou même plus selon les jours et l'humeur des gardiens-chefs. Dans ce secteur, le travail est quasiment impossible, le ravitaillement difficile pour une forte proportion de la population, l'accès aux services de soins limité, les jeunes ne vont pratiquement plus à l'école, ils n'ont pas pu passer leurs examens de fin d'année.

Lundi matin, départ pour B., passage sans trop de difficultés du contrôle. Rencontre avec le responsable du projet que nous devons évaluer, pendant les quelques heures de " liberté " accordées par les gardiens. Pendant ce temps-là, ils sont invisibles, mais tout le monde sait qu'ils seront présents dans quelques minutes ; ce jour-là, dès 15 heures, pour s'assurer que tout un chacun a regagné sa cellule. Un responsable d'un centre de santé, le plus important de la zone, nous explique que le nombre de consultations a diminué de près de 90% ces dernières semaines. Dès 14h30, tous ceux qui ont travaillé repartent en courant, achètent quelques vivres en chemin et se cloîtrent dans leurs cellules, ne sachant pas quand ils pourront en ressortir.

Nous nous retrouvons seuls, au dernier étage d'un bâtiment, ayant juste eu le temps d'acheter quelques fruits et légumes, du pain, du thé et une bouteille de remontant. Comme les autres, nous ne savons pas combien de temps nous allons rester enfermés. Privés de télévision, nous n'en serons informés que lorsque nous reverrons des gens circuler. Pendant ce temps, les gardiens sillonnent le secteur dans des véhicules blindés, des tanks. Toute l'après-midi, toute la soirée et même toute la nuit, ils patrouilleront, ils tireront sporadiquement à la mitraillette, mais aussi des obus. Entre deux passages de gardiens, les enfants sortent. Les parents angoissent en espérant qu'ils ne se feront pas tirer comme des lapins, mais tous expliquent qu'ils ne savent pas comment les garder à l'intérieur pendant ces longues heures d'enfermement.

Mardi matin, 8h30. Les mouvements augmentent. Visiblement, il sera possible de circuler quelques heures. Travail intensif durant les quelques heures de liberté de mouvement, et départ pour le centre, à nouveau sans trop de problèmes pour nous.

Mercredi matin, en route pour R. Le premier contrôle est simple, au moins dans ce sens. Dans l'autre, il y a une longue file de personnes à pied et en véhicule. Il leur faudra plusieurs heures pour traverser. Le deuxième contrôle est sérieux. Attente sous le soleil. Cela n'avance pas vite, mais on n'a pas encore tout vu. Après le passage, encore quelques kilomètres pour rejoindre nos interlocuteurs. Seulement impossible de prendre la route directe, elle est interdite. Les chemins empruntés sont défoncés, détruits par endroits, histoire de compliquer la progression. Encore la peur de l'autre.

Et à nouveau travail sous stress. Nos interlocuteurs répondent à nos questions entre deux téléphones. A tout instant, ils répondent à des demandes de leurs collaborateurs, qui passent en coup de vent dans le bureau où nous sommes installés.

A 13h30, nous repartons. Il n'est en effet pas certain que le lendemain, il sera possible de travailler et il nous semble peu approprié de passer plus de 30 heures bloqués dans une chambre. Au contrôle, nous en aurions pour 2 heures au moins si nous suivions la colonne des hommes ; on nous propose de suivre la file des femmes et nous passons ainsi en moins d'un quart d'heure. Un véhicule nous attend et nous emmène à l'ouest.

En route, nous traversons des zones magnifiques, les terrains sont cultivés, mais certains ont été détruits et sont remplacés par des bâtiments neufs, des espaces nouveaux construits en quelques années pour y loger plusieurs milliers de personnes. Ils s'y barricadent pour se protéger non pas des gardiens, mais d'autres détenus.

L'ouest est totalement clôturé. Le passage est contrôlé et prend du temps, même si nous sommes quasiment seuls, hormis quelques personnes qui attendent de regagner leur quartier, après avoir vainement cherché un petit job pour la journée. Nous découvrirons plus tard que cette partie est également divisée en plusieurs secteurs. Avec des contrôles pour circuler d'un secteur à l'autre. Et, surtout, que ces points de passage sont très souvent fermés, sans que personne ne sache quand et pour combien de temps.

Nous découvrirons la réalité le jeudi matin. Fermé à 9h, il le sera toujours à 11h, avec une rumeur précisant que l'ouverture n'aurait pas lieu avant 15h ou 16h… Partout des maisons détruites, des routes plus ou moins défoncées, des explosions, des tirs à l'arme automatique. On nous raconte également que les moyens lourds comme tanks, avions, hélicoptères sont régulièrement employés pour contrôler une population qui serait dangereuse.

Pendant ce temps, le soleil brille toujours.

Après 3 jours de boulot quelque peu limité par les entraves à la circulation, nous repartons séparément. Je regagne la sortie, les deux autres retournent au centre.

Un premier trajet interrompu plusieurs minutes par des tirs soutenus à l'arme automatique, provenant vraisemblablement d'une de ces zones construites en lieu et place des cultures. Un contrôle humiliant à la sortie de la zone ouest. Ce n'est pas dramatique, mais petit. Dépôt des bagages, passage dans un détecteur de métal, présentation des papiers à deux types armés jusqu'aux dents et planqués dans une guérite en béton avec une toute petite persienne. Puis 500 mètres en terrain découvert entre plots en béton et barbelés. Contrôle bis des papiers par des gardiens toujours armés, qui entrent votre nom sur l'ordinateur, posent de multiples questions et vous balancent sur le comptoir vos papiers à plusieurs mètres de l'endroit où vous attendez.

A la sortie de la prison, je me dis que cela sera peut-être compliqué, mais qu'ils doivent être si contents de nous voir tourner les talons que cela devrait aller vite. Pensez-vous ! Un premier contrôle avant même d'arriver à la sortie avec une fouille complète du véhicule. Une série de questions avant même d'entrer dans le bâtiment. Une deuxième série de questions, une fouille complète des bagages avec utilisation du détecteur de métal sur les photocopies qui sont dans mon sac, encore les mêmes questions ; et je représente mes papiers ; et encore… les questions, le contrôle des bagages.

Le retour est sans histoire.

Cher lecteur,

Vous l'aurez sans doute compris. Ce n'est pas de la fiction, même si officiellement ce n'est pas une prison. Et pourtant, nous sommes au-delà de l'invasion, au-delà de l'occupation… nous avons vraiment eu l'impression d'être en détention. Nous étions à Jérusalem, Bethléem, Ramallah et Gaza. Nous étions en territoire israélien, nous étions en territoire palestinien.

Depuis le début de la deuxième Intifada, tout le monde (qu'il soit Palestinien ou Israélien) vit la peur au ventre. Tout le monde a peur pour ses enfants, pour sa famille, pour ses amis, pour lui-même. Nous avons rencontré des dizaines de personnes qui ne voyaient pas de quoi l'avenir serait fait, qui se demandaient comment maintenir l'espoir dans la tête de leurs enfants.

Les attentats-suicides relèvent souvent d'actions individuelles de désespoir, mais le soutien que leur apporte certains groupes israéliens, justifiant une réponse violente à la violence militaire n'est pas plus soutenable que l'autre.

Le gouvernement israélien et l'armée israélienne humilient en permanence plus de 3 millions et demi de personnes. Ni la convention des droits de la personne, ni la convention des droits de l'enfant, ni même la convention des personnes détenues ne sont respectées. Dans la bande de Gaza, personne ne circule sans entrave, ni les agents des Nations Unies, ni les représentants des Etats, ni les travailleurs du CICR, ni les ambulances du Croissant rouge. En Cisjordanie, sous couvre-feu quasi permanent, les ambulances ont du mal à circuler. Il faut que le CICR obtienne systématiquement le feu vert de l'armée, ce qui n'empêche pas l'ambulance d'être parfois arrêtée plusieurs heures. Cet état de non-respect est tout simplement inacceptable, ne serait-ce que pour des raisons humanitaires.

Ce témoignage est personnel, il n'engage que moi. Le rapport de mission est technique, il devrait permettre de trouver un soutien financier à un excellent projet développé par des personnes qui croient en l'avenir.

(Ce texte peut être reproduit uniquement intégralement.)


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